Les limites de la souveraineté - Les républiques sous le roi
Pour la plupart des hommes du XIXè siècle et aujourd'hui encore, absolutisme est synonyme de despotisme, de pouvoir capricieux et illimité. C'est absolument inexact : pouvoir absolu signifie exactement pouvoir indépendant; la Monarchie française était absolue dès lors qu'elle ne dépendait d'aucune autre autorité, ni impériale ni parlementaire, ni populaire : elle n'en était pas moins limitée, tempérée par une foule d'institutions sociales et politiques, héréditaires ou corporatives, dont les pouvoirs propres, les privilèges (au sens étymologique : lex privata ), l'empêchaient de sortir de son domaine, de sa fonction.
L'ancienne France était « hérissée de libertés ».
Dans la Monarchie française, l'autorité suprême est donc indépendante, une, sans partage. La Monarchie anglaise, au contraire, ne détient qu'une part de la souveraineté, laquelle appartient proprement au Parlement, institution composite formée de la Conversation, de la Délibération de trois éléments : la Couronne, les Lords et les Communes. Le roi n'est qu'une pièce de cette auguste Palabre.
Le partage de l'autorité souveraine entre trois éléments, dû aux circonstances historiques, peut avoir, et a certainement des inconvénients politiques : il n'implique nullement que l'autorité souveraine en elle-même soit plus limitée ni qu'elle souffre plus de libertés : car l'entente étroite de trois pouvoirs peut en effet devenir très facilement oppressive.
Ce qui limite effectivement la souveraineté, ce n'est point le mode suivant lequel on peut la diviser, ce sont les autonomies locales et corporatives qui se dressent et qui résistent lorsqu'elle est tentée d'empiéter au-delà de son domaine.
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Il y a des collectivités sans Roi. Il n'y a pas de Roi sans un pouvoir collectif qui lui serve d'auxiliaire.
« Le Roi dans ses Conseils ».
Le principe de la République est au juste celui qui exclut la décision d'un seul, sa présence ou sa préséance. « Absence de Prince », disait Anatole France pour le définir.
Le principe de la Monarchie est beaucoup plus large : aucun chef unique n'est obligé par son principe à refuser la collaboration de conseillers assemblés. Au contraire, le chef qui comprend sa fonction s'entoure de lumières et fait converger les sagesses pour assister les siennes.
Un gouvernement collectif qui déférerait sa décision à un seul ne serait plus un gouvernement collectif; il se démettrait de son caractère et renierait sa raison d'être : s'il ne le faisait pas radicalement, s'il voulait, dans la pratique, concilier les deux principes, il se bercerait de l'illusion de tenir, de brider un chef qui serait sa créature, et, celui-ci ne pouvant commander avec quelque indépendance qu'en repoussant l'autorité de ses créateurs, ce serait entre eux guerre allumée. Ainsi seraient cumulés les défauts de la République et de la Monarchie, à l'exclusion de leurs avantages.
Cette guerre fatale n'apparaît pas dans le cas contraire : quand le monarque prend conseil, il ne se diminue pas, il s'accroît; il écoute, il adopte les avis de son conseil sans déroger : celui-ci, les ayant fournis librement, n'a aucune raison de se sentir lésé si le roi en adopte un autre.
Le gouvernement d'un seul peut emprunter ce qu'il a de bon au gouvernement de plusieurs : le gouvernement de plusieurs se détruit lui-même en faisant l'inverse, dès qu'il emprunte au gouvernement d'un seul. Rappelez-vous les vertueuses fureurs « républicaines » contre les dictatures, qu'elles fussent de Joffre ou de Clémenceau.
Cela juge la rigidité de la République, son manque de souplesse et d'adaptation.
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Sub rege, respublica
Le monarque prudent et sage
De ses moindres sujets sait tirer quelque usage.
« Sans quelqu'un » ou « sans quelque chose », voilà la seule locution que ne puisse absolument pas prononcer un Roi de France. Le Roi met chacun à sa place, il emploie chacun et tous. Mais il ne permet à personne l'usurpation.
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Plus les pouvoirs sont divisés, plus le pouvoir doit être énergiquement concentré; car les libertés naissent de la division des pouvoirs, mais plus les libertés sont grandes et nombreuses, plus il est nécessaire qu'elles soient défendues, tantôt contre elles-mêmes ou leurs réactions réciproques, et tantôt contre l'Étranger.
Dans un grand pays, surtout s'il est dénué d'une aristocratie bien liée au sol, la monarchie héréditaire peut seule garantir les libertés, elle seule peut défendre, diriger, soutenir et continuer la nationalité. Sans elle, plus de libertés : le despotisme de César ou celui des oligarchies irresponsables. Sans elle, plus de nationalité : l'abaissement, la décadence et, finalement, quelque partage à la polonaise.
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L'autorité-principe ne se concilie pas avec la liberté-principe, il faut choisir l'un ou l'autre; le parti qu'on ne choisit pas, on le rejette. Qui dit liberté d'abord dit discussion d'abord; il n'y a pas de salut public qui tienne : on s'engage à tout casser et l'on casse tout tant qu'on n'est pas maître de tout. Et, si l'on devient le maître, on contribue encore à tout casser par la vertu du même principe augmenté des facilités du pouvoir.
Disons : autorité d'abord. Cela permet les libertés.
Qui dit libertés politiques réelles dit autorité.
-La liberté de tester crée l'autorité du chef de famille.
-La liberté communale ou provinciale crée le pouvoir réel des autorités sociales qui vivent et résident sur place.
-La liberté religieuse reconnaît l'autorité des lois spirituelles et de la hiérarchie interne d'une religion.
-La liberté syndicale et professionnelle consacre l'autorité des disciplines, des règlements à l'intérieur des corporations et compagnies de métier.
-La liberté de l'État, l'indépendance de l'État, c'est l'autorité monarchique.
Nous avons fait jadis la critique des nuées du libéralisme et de l'idée de liberté en disant : la liberté de qui ?; la liberté de quoi ?; On a confessé gentiment qu'il ne s'agissait pas de la liberté de mettre sa petite soeur à la broche, ni de la liberté des voleurs et des assassins. Ainsi, déduisions-nous, il n'y a pas la liberté, mais les libertés. Philosophiquement, l'idée d'autorité est plus complète que l'idée de liberté. Mais il faut continuer à poser la question : autorité de qui ?; autorité de quoi ?;
L'autorité de la monarchie ?; Oui, mais de quelle monarchie ?; Il n'y a qu'une monarchie digne de l'autorité, apte et habile à l'autorité durable et continue, c'est la monarchie héréditaire, dont l'intérêt s'identifie à l'intérêt public.
Expliquons-nous :
Comme les Libertés à la Nation, l'autorité est nécessaire à l'État, mais une autorité qui veuille et qui fasse le bien du pays. Une autorité présentant des garanties de patriotisme et de bienfaisance. Ces garanties existent dans l'autorité royale, parce que cette autorité héréditaire exprime l'union séculaire, le mariage historique des familles du peuple et de la famille-chef : il y a identité quasi perpétuelle entre l'intérêt national et l'intérêt dynastique.
L'autorité est ainsi mise au service de la nation. Mais l'autorité de n'importe qui pour faire n'importe quoi ne me garantit en rien qu'elle ne sera pas la plus atroce des tyrannies, celle de Marat ou de Robespierre, ou le despotisme le plus dangereux et le plus fou, fût-il tempéré par la gloire, comme celui du premier Empire, dont les résultats politico-militaires tiennent dans les noms de Trafalgar et de Waterloo, dans les titres législatifs qui imposent depuis un siècle la centralisation, l'étatisme, la dépopulation.
La vraie autorité française est celle du Roi de France.
L'illusion de notre jeunesse fut de penser que la décentralisation et la fédération pourraient être obtenues en France par en bas, par l'initiative des groupes, et avant la restauration du pouvoir central. L'expérience m'a fait comprendre que nos groupes naturels sont trop désorganisés, trop faibles, trop flottants pour n'être pas maintenus indéfiniment dans leur état présent d'inorganisation, par tout gouvernement qui y a intérêt, autant dire tout gouvernement électif.
Toutes les fois qu'un groupe s'organisera sérieusement, il devra s'appuyer sur des idées absolument révolutionnaires, afin de pouvoir repousser et exclure dans tous les cas toute ingérence de l'État : ce groupe devra donc s'orienter dans une direction anarchiste et antinationale; au lieu de fortifier la patrie par le réveil des groupes locaux, il la diminuera par des tentatives de scission, d'ailleurs puériles, sottes et sans aucun profit pour ces groupes eux-mêmes.
Ce mouvement organisateur aboutira donc, en fait, à désorganiser.
Nous l'avons vu, nous le verrons de plus en plus. J'en ai conclu qu'il faut commencer par en haut.
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Il n'y a décentralisation de l'autorité qu'avec une décentralisation des responsabilités, ce qui est justement l'impossible sous le régime où l'autorité supérieure elle-même est toute en morceaux et ne répond de rien.
Nos villes et nos provinces ont beau vivre énergiquement : l'État est là pour leur ôter la conscience d'elles-mêmes et enrayer tout mouvement local qui, en créant un esprit d'initiative, en instituant un système d'autonomie, atteindrait les sources premières de sa vie propre, les organes de l'élection.
Tout effort autonomiste se heurte à cette caporalisation générale pour l'élection, par les rubans violets ou rouges et les promesses d'emplois.
À moins de se résigner à fomenter une agitation anarchiste qui atteint l'État dans ses parties vitales et vise la patrie au coeur, ces deux écueils symétriques dégoûteront fatalement les générations successives. Je leur souhaite de réfléchir à la seule solution raisonnable : garder l'État, mais commencer par le réformer en le purgeant de l'élection.
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... La moindre chiquenaude administrée aux forces dormantes, le mouvement réformateur bénéficierait de la somme des intérêts et des enthousiasmes de nos grandes et petites villes, de nos petits pays et de nos grandes régions. Ces forces convergentes de leur nature, mais en fait dispersées, seraient disciplinées et polarisées méthodiquement par une série de termes échelonnés, vers leur but final, suivant la formule de toute marche digne de l'homme, suivant la définition de tout progrès volontaire et conscient. Mais cela suppose dans l'État intelligence et permanence, volonté de tradition, cela suppose le Roi.
En régime électif (ou république) un chef de parti au pouvoir a besoin, pour durer, pour vivre, pour continuer d'être, de faire sanctionner périodiquement sa domination par un vote exprès des volontés nationales. Un chef de parti, puisqu'on tient à ce mot menteur, un chef de parti héréditaire n'est pas soumis à la même nécessité. Il n'a pas besoin des volontés, mais des assentiments, ce qui fait une différence infinie. Il n'est pas soumis à ces renouvellements qui sont le principe constitutif, l'axe et le coeur du régime républicain.
Celui-ci obéit en centralisant à la condition de son existence.
L'existence du Roi est affranchie de cette condition.
Il peut être sans elle.
La royauté constitue donc à tout le moins la possibilité de la décentralisation, comme la République en constitue l'impossibilité rigoureuse.
, dit une ancienne maxime du droit français. Le Roi est l'arbitre, le chef, le protecteur des républiques qui se juxtaposent, se conjuguent, s'entrecoupent, se compénètrent dans la complexité du Royaume de France, par toute l'étendue de l'Empire français.