L'expérience séculaire de la France

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Ici, notre maîtresse est l'Éxpérience du genre humain, l'Histoire, mais l'Histoire interprétée judicieusement et à condition qu'on y sache démêler les liaisons certaines des causes et des effets.

 

Cette règle suppose un peu de recul. Quelle conclusion raisonnable et sûre peut-on tirer de l'histoire des États-Unis du Brésil, qui n'ont pas cinquante ans d'âge  ?; du régime plébiscitaire au Mexique, où le même président, réélu six fois, a été d'abord un vrai dictateur et dont la dictature s'est écroulée dans l'anarchie  ?; Jules Lemaître me répétait, d'après son docteur Déroulède: - Porfirio Diaz  !... Le pauvre Porfirio n'est qu'un souvenir de discontinuité politique éclatante  !

 

Enfin, quand on agite désordonnément ces points de comparaison tirés du Nouveau Monde, on oublie une immense différence de conditions économiques et militaires avec notre Europe.

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C'est la mémoire de la France qu'il importe de consulter. L'expérience séculaire de notre patrie contient seule nos grandes lois.

 

L'expérience  ! La politique n'est pas de choisir par illumination de l'esprit telle ou telle mesure, telle ou telle procédure abstraites. Elle consiste à voir, à juger, entre les différentes tentatives réelles et concrètes que l'inlassable effort humain mit en oeuvre chez nous, celles qui donnent des résultats, celles qui n'en fournissent aucun et celles qui en donnent de contraires au but désiré. Mais cela suppose de longs tâtonnements, pendant lesquels l'État n'a qu'un devoir : maintenir l'ordre, empêcher la velléité de progrès incertains de tuer les progrès acquis.

 

Qu'on se place par la pensée à un moment quelconque d'une histoire heureuse, d'une histoire qui ait réussi, la nôtre, par exemple, entre le XIe et le XVIIIe siècle : comment furent réglées certaines difficultés politiques et sociales aussi redoutables que celles dont nous nous plaignons  ?;

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Au temps où les membres du corps féodal, paysans, seigneurs, grands feudataires, commencèrent à venir rarement aux plaids, la royauté et la société d'alors connurent une période d'embarras d'autant plus vif que la nécessité de la justice, «  de la paix  », comme on disait, croissait en même temps que l'abstention des juges.

 

Chacun s'ingénia. Ici, les officiers royaux, là les clercs, peu à peu la classe nouvelle des légistes introduisirent la juridiction spéciale et différenciée qu'exigeaient les besoins récents. Mais les anciens usages ne disparurent pas non plus. Les métiers gardèrent leurs tribunaux, l'Église ne perdit pas les siens, ce qui était resté vivant persévéra et, de haut, de très haut, l'on prit seulement soin d'accorder ces survivances aux nouveautés heureuses qui les complétaient.

 

Dans un ordre voisin, nos cinq derniers siècles monarchiques ont vu coexister un Droit féodal qui s'étendait bien au-delà de la noblesse et qui englobait des provinces, des villes, des corporations, avec un état de bourgeoisie fondé sur le droit personnel et dominé par une Administration. Tout cela florissant, sorti de la nature des choses et de la prévoyance des hommes, nullement de l'invention d'un seul cerveau. Aucun cerveau humain n'eût été capable de saisir la possibilité d'accorder ces forces aussi diverses.

 

La plupart des gens auraient dit : «  ceci tuera cela  », comme l'enfantin romantique. Le génie de la Monarchie excluait de tels meurtres. Ferme sur son triple principe (unité nationale, fidélité à la chrétienté, paix sociale ), la royauté française a retenu le bien pour le seconder, écrasé le mal et laissé le médiocre pourrir sur pied. De là résulte la libre croissance, l'extension lente et sublime d'un beau corps plein de vie.

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C'est pour avoir défendu la France contre l'envahisseur normand, et c'est ensuite pour nous avoir donné la sécurité et la paix en faisant une exacte justice des «  barons brigands  » que les premiers Ducs de France et Comtes de Paris se sont attiré la confiance et «  l'amour  » de la foule des braves gens. Oui, l'amour. Et cela ne les empêchait pas d'être craints des méchants. Ils étaient valeureux et justes. Guerroyant ou négociant, s'appliquant toujours et partout à rendre service, à se créer des titres, à se fonder des droits, ils surent arrondir leur pré carré dans toutes les directions indiquées par le dessein de Charlemagne, de Clovis et de Jules César. Politique de paix, politique de guerre, politique de justice ou de maréchaussée, ils déterminèrent cette heureuse série d'agrandissements continus qui dura jusqu'au dernier soupir de la Monarchie.

 

Tels sont nos anciens rois, ceux qui nous font royalistes. La force de la France ne nous apparaît que par leur royauté : la royauté disparue ou diminuée, la diminution du pays s'ensuit, et sa disparition même menace. Cette clarté est telle que, de plus en plus, tout Français conscient se sent devenir royaliste.

 

Mais il n'y a pas que des Français conscients. Les autres sont à rallier. La Royauté les ralliera par le titre éclatant de ses nouveaux bienfaits.

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Procédure déjà ancienne : Charles VII était bien contesté. Il donna la libération du territoire. Henri IV n'avait pas accès dans tous les coeurs. Il ajouta la paix religieuse à l'indépendance de la patrie. Mais ni l'un ni l'autre n'avaient obtenu ces deux biens par la seule persuasion. Il ne faut pas se représenter ces grands rois comme des bonshommes en carton doré, tels que Saint-Sulpice en fabrique, ayant en tête une couronne de papier et à la main un sceptre de sucre candi.

 

Ce roi-momie, ce roi de protocole, de figuration, de parade, est une invention romantique, dont se rient également l'historien et l'homme d'État.

 

Les véritables rois de France étaient de rudes compagnons qui ne boudaient pas à l'ouvrage, des princes de reconstitution et de reconquête. Ils réconciliaient, ils unissaient  ?; Fort bien : quand ils étaient les maîtres. Pour le devenir, ils ne reculaient pas devant un genre d'«  opération césarienne  » qui est plus ancienne que César.

 

Nous nous fions au roi, mais au roi seul, pour ce qui est de ne pas abuser de la force; lui seul a intérêt à ménager les réserves morales et matérielles du pays; on peut compter sur lui pour désarmer les «  irrévocables rancunes  ».

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Toutes les traditions ont eu un commencement et les sentiments de fidélité monarchique, s'ils remontent très haut, ne remontent point à l'infini : ce qui a commencé peut donc se recommencer; ce qui eut un point de départ peut en retrouver un second.

 

En constatant tous les démentis que l'expérience sociale et politique inflige à ce que beaucoup appellent déjà «  l'erreur révolutionnaire  », plusieurs de nos concitoyens croient pouvoir admettre une partie de la vérité politique (tradition) et d'abandonner l'autre (tradition royale) à l'Action française.

 

Ils disaient : «  Nous prétendons, nous, qu'une tradition s'est formée dans ce pays -tradition à qui 89 donne une autorité singulière - et qu'il n'y a pas d'autorité possible en dehors du consentement de la majorité.  »

 

Cette tradition du consentement de la majorité, ou plutôt de l'unanimité (si l'on entend par consentement un simple assentiment de fait aux actes nécessaires d'une autorité bienfaisante), cette tradition-là est plus vieille que 89, elle est contemporaine de tous les âges de notre histoire : ce n'est pas le moins du monde un fait nouveau.

 

Mais, vieux ou neuf, ce sentiment public, loin de rejeter la monarchie ou de la rendre inutile, en fait partie intégrante. C'est à un semblable état de l'esprit public que nous tendons et travaillons quand nous démontrons qu'il doit solliciter et désirer la monarchie comme la condition du bon gouvernement, - en France tout au moins.

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Car nous ne parlons que de la France.

 

Il exista de pauvres petits peuples encore mal développés et différenciés, à qui le mécanisme rudimentaire de la démocratie put suffire. Il y eut des États plus développés, mais dans une direction homogène, les uns plus purement maritimes, les autres uniquement terriens à qui la république aristocratique fournit longtemps une protection solide et durable.

 

D'autres peuples, fort avancés socialement, mais vivant à l'abri des nécessités politiques imposées aux grands États européens, s'accommodent d'un mélange de démocratie et de patriciat plus ou moins ploutocratique.

 

Par sa diversité, par son ancienneté, par sa position en Europe, par sa nécessité d'avancer pour ne pas décroître et par l'extraordinaire complexité de sa structure, la France a besoin de la monarchie dynastique.

 

Née de l'hérédité capétienne, sa force a grandi et fléchi comme le pouvoir de ses rois.

 

On se trompe quand on se figure notre royalisme comme la pure déduction logique d'une vue de l'esprit. Une analyse rationnelle emprunte aux principes leur rigueur, mais elle est éclairée, dans sa marche à travers les contingences politiques, par deux puissants témoins de fait, la géographie de la France et son histoire.

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Une constitution ne vaut ni par son texte, ni même par les intentions du Constituant.

 

Elle vaut par les réalités dont elle est le signe.

 

La Charte anglaise était le signe de la puissance des barons alliés aux communes, avec lesquels le roi compta et transigea.

 

En revanche, nos législateurs de 1875 ont «  donné  » au président de la République le pouvoir de dissoudre la Chambre; mais leur don était illusoire, parce qu'ils faisaient élire ce président par les parlementaires : un président ainsi créé ne pouvait pas dissoudre une assemblée dont il dépendait en partie, sans risquer la mésaventure du Maréchal.

 

Les mêmes législateurs ont voulu faire du Sénat, le grand conseil des communes de France, il n'y avait à cela qu'un malheur : cent ans de césarisme administratif avaient tellement affaibli la vie locale que nos communes n'existaient plus que de nom; la Chambre dite haute ne pouvait pas représenter l'inconsistant ni l'inexistant.

 

Nous ne sommes pas des destructeurs de Constitutions. La Constitution politique naturellement adaptée à la France contemporaine, nous ne la faisons pas, nous la cherchons, nous la trouvons, telle qu'elle est inscrite dans le plexus des intérêts, des traditions, des sentiments et des autres réalités en présence.

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Nous ne sommes pas «  constitutionnels  » en politique. Nous le sommes, très fermement, dans l'ordre social.

 

Une Constitution politique, charte ou traité entre le peuple et le roi, ne correspond à rien en France. Il n'existe pas, dans notre passé, l'ombre d'un litige historique entre le roi et ce qu'on appelle le peuple. Quelle est d'ailleurs cette entité, un peuple français sans son roi, sans le facteur et le protecteur de son unité  ?; Cela n'est même pas concevable. On ne règle pas des difficultés entre un corps sans tête et une tête sans corps.

 

Au contraire, en matière sociale, le litige est flagrant comme l'état de guerre. On peut, on doit traiter du moment qu'on se bat. Quand il n'y aura pas bataille, l'état présent des rapports du travail et du capital reste gros de conflits. C'est une anarchie pure. Selon une parole pénétrante de Guesde, «  c'est l'état de nature  ». Il faut le remplacer par l' «  état de société  ».

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Une constitution représentative n'est pas une constitution parlementaire.

 

Quand le parlement est roi, devant qui représente-t-il la Nation par qui il est mandaté  ?; Devant lui-même  !... Rien d'absurde comme cette confusion.

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