La famille-chef
Ce n'est pas au bonhomme Démos que peut appartenir la direction de l'État, son gouvernement. En fait, le suffrage universel se remet toujours à d'autres. Mais à qui doit-on s'en remettre ?;
Le Droit national dit la vérité à l'individu, ou, pour parler correctement, à la personne : à l'homme qui n'est qu'homme, au citoyen qui n'est que citoyen. Cet homme est ce qu'il peut être, il fait ce qu'il peut faire, mais où s'arrêtent ses moyens s'arrêtent aussi ses devoirs, par conséquent, ses droits. La politique contient une science, parce qu'elle est un métier ou un art. Cet art de servir l'intérêt général suppose instruction, éducation, apprentissage, compétence. Il doit supposer les conditions naturelles de toutes ces choses. Qui instruira, qui éduquera, qui provoquera l'apprentissage et l'initiation à la compétence, dans cet art de servir l'intérêt général ?; Cet art devra exclure les intrigants et les aventuriers : il devra donc être exercé à ciel ouvert. Les démocraties ne comportent qu'un gouvernement occulte : nous cherchons un gouvernement qui puisse être avoué, reconnu.
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Si la nation est composée de familles, on doit admettre qu'une famille ou des familles la dirigent. Si la naissance fait le caractère le plus important du phénomène national, si tout dépend d'elle d'abord, comment cet élément primordial de la nation serait-il absent de l'État ?; Les deux éléments s'appellent au lieu de se contredire. Si l'État veut sauvegarder l'élément-né de la nation, il doit avoir pour suprême objet la sauvegarde des familles : des affinités essentielles jouent entre les besoins auxquels il doit répondre et l'élément natif de ce pouvoir-né.
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L'action politique et civique passant de l'aire des individus à l'aire des familles, il faut considérer nos familles professionnelles : militaires, marchandes, industrielles, maritimes, commerçantes, ouvrières. La nature les fait et défait, comme tout. Mais les habitudes historiques y retiennent naturellement, et j'allais dire voluptueusement, la majorité de leurs adhérents comme le lieu du moindre effort ou de l'effort le plus facile et le plus productif. Allons-nous trouver dans cet ordre un clan , une élite de familles politiciennes ?;
Nommons-les d'abord politiques.
Une désignation honorable est due quand le métier est avoué et exercé avec préparation et pertinence.
Il n'est pas douteux que dans notre pays (moins qu'ailleurs, peut-être, il est vrai ), un certain nombre de familles nobles ou bourgeoises tranchent sur les autres en y perpétuant avec leur patrimoine, outre un sens national affiné, un vif esprit du service public, des habitudes de clientèle et l'exercice du commandement local ou régional.
Où l'individu vivant de la politique était un intrus souvent dangereux, la famille qui fait de la politique sait ce qu'elle fait et, par sa durée même, témoigne qu'elle donne autant qu'elle reçoit. Elle ne dissimule pas sa fonction, mais la publie. Elle ne dit pas au peuple qu'il règne, ni gouverne, mais elle reconnaît qu'elle l'administre, le dirige et aussi le sert.
Caractérisées par l'éducation reçue et transmise, par la tradition prolongée, par le rang moral maintenu, ces familles portent la charge, elles remplissent les devoirs, elles accèdent au pouvoir partiel ou total selon les pays.
Ces éléments d'aristocratie tendent-ils à la monarchie ?; On le dit. On se trompe. C'est tout le contraire.
Si l'on trouvait en France une forte charpente de ces familles politiques stables, les chances seraient moins pour le gouvernement d'Un seul que pour la République aristocratique.
Mais on trouve autre chose en France.
Dans le nombre important, peut-être excessif, des familles capables d'autorité sociale, on trouve une race qui, depuis mille ans les domine, les discipline, les conduit, les réduit au bien du pays.
Drumont l'appelait la famille-chef. La situation de la famille-chef étant en rapport étroit avec les convenances de l'intérêt national, le Droit national tend à solliciter cette famille d'assurer la direction-en-chef du service public et à lui déférer ce commandement unique dont l'esprit public accuse un besoin si aigu.
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Hésitera-t-on cependant ?; Demandera-t-on ce qui vaut le mieux, du commandement de plusieurs familles ou d'une seule ?; Sous le règne de toute aristocratie républicaine, le sentiment public court le risque de se dissoudre dans la compétition de dynasties, trop aisément armées l'une contre l'autre : le bien public y sombre facilement dans ces rivalités d'intérêt, dont le malheur est souvent d'être aussi respectables et légitimes les unes que les autres, la volonté d'un Chef pouvant seule les départager. Exemple, l'histoire des Républiques de Princes comme l'Allemagne ou des Patriciats de l'Italie au moyen âge.
Sauf en certains cas privilégiés, la République aristocratique n'est pas la raison sociale d'un conflit de familles-chefs, que nul principe supérieur ne contraint à se mettre d'accord : « absence de Prince », disait déjà Anatole France.
En France, la République bourgeoise offre le même vice : nos intérêts économiques varient puissamment de région en région. Si on les laisse libres de constituer le gouvernement, c'est-à-dire de se combattre sans autre loi que leur liberté, celle-ci mène au bord du Styx comme la queue de l'hydre de La Fontaine: « absence de Prince » !
Un pouvoir fondé sur des négociations perpétuelles entre firmes rivales dont chacune veut tout ce qu'elle peut, oscillera facilement et lourdement du pour au contre: il ne sera jamais que le signe d'une différence dans la soustraction entre les totaux de forces en lutte.
Au bout de cette lutte, le pays restera gouverné par la petite différence qui sépare une majorité d'une minorité : misère ou gâchis...
- Le Prince, le Prince, le Chef !
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Au contraire, substituons au conflit de dix, cent ou mille familles-chefs le règne d'une seule, désignée non pour elle-même, mais par les rapports qu'elle soutient avec la nation.
Adoptons une famille-chef, celle qui incarne le travail politique, l'effort, la fonction conservatrice et unificatrice d'où est sortie toute la nation.
Laquelle ?; Nulle discussion honnête n'est possible. C'est la famille des Capets-Bourbons-Orléans. Pas de compétition. Nous ne la choisissons pas, nous la recevons toute faite de l'histoire de la patrie.
Il est un point de vue national auquel tout le monde peut accidentellement se placer, mais c'est celui-même où se tient, où vit naturellement une Race qui, en mille ans, a fait métier d'opérer le rassemblement et la direction du pays. Là est son ordre de fonction et son plan d'action, son champ sensoriel et son intelligence, la ligne même de sa vie. Elle y est spécialisée, par profession, depuis dix siècles, n'ayant d'autre métier ni d'autre intérêt que la protection et le développement du pays qui est « le sien ». Le sens le plus général de la vie nationale y trouve un abri propice à sa sûreté, et le Droit national trouve aussi son dépositaire, son fonctionnaire, dans la tête et dans le coeur d'un personnage que son poste même intéresse au maximum de salut public et de bien public : le Roi.
Car on n'en peut rester au gouvernement de la Famille royale. En vertu des raisons irréfutables qui ont déjà milité pour l'unité, cette monarchie qu'il faut à l'État s'impose au plus haut de l'État : il faut à la famille-chef un chef, mais qui soit choisi et désigné en elle, comme elle-même l'a été, non par l'élection du présent mais par les sélections du passé : non par le suffrage de tous ni de quelques-uns, non même par le sort, mais par un principe supérieur de commodité, une règle d'utilité : le droit d'aînesse.
Il est meilleur que tout, du point de vue de la nation, que, sans contestation, le premier-né soit le premier accédant au trône et, après lui, ce qui naît de lui dans l'ordre des premiers-nés. Qu'il en soit fait ainsi pour que, dans la suite des temps, dès que « le roi est mort », on dise « vive le roi ! » et que le monde entier soit habitué à s'entendre redire par nos légistes de Toulouse et de Paris que « le roi de France ne meurt pas ». Syndic-né de toutes les familles, symbole-né de tous les métiers, fédérateur-né de toutes les provinces, dont les terres saluent en lui le rassembleur-né, il représente à la tête de la nation tout ce qu'elle a de constant et d'identique; tout ce qui, jailli de la profondeur originelle, veut et peut s'emparer des berceaux brillants du futur.