La vraie république

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La république fut, jadis, l'objet d'une religion. Mais sa défense n'est plus assurée aujourd'hui que par les gens qui ont intérêt au malheur public.

 

On peut définir la vraie République, la République de fait, par la domination des intérêts, des passions, volontés des partis sur l'intérêt majeur du peuple français.

 

Elle est permanente impossibilité de réformes et conspiration permanente contre le salut public.

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Il y a des animaux très inférieurs dont toutes les cellules sont propres à tous les emplois : nutrition, sensibilité ou mouvement. Ces animaux n'ont que de petits mouvements, des sensations vagues, une nutrition élémentaire.

 

Chaque élément fait mal tant de métiers divers : c'est le cas de notre constitution républicaine. Elle est amorphe, elle ne comporte ni différences cellulaires, ni division et répartition des fonctions, ni des organes distincts.

 

Représentation, gouvernement, législation, administration, tout y est confondu.

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Il existe en France, comme partout, une masse d'hommes occupée de son pain ou de son plaisir quotidiens et qui ne sera jamais attentive à l'intérêt commun le plus général et le plus profond.

 

C'est pour elle que le régime républicain est cruel : car un tel régime la suppose capable de pourvoir spontanément à son propre salut et, comme cela n'est pas vrai, ce régime, si actif quand il ne s'agit que de sa défense, est sans action pour la défense du pays qui demeure découvert et démantelé.

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Le pays sera-t-il capable de sentir quelque jour, unanimement, cette fatale infériorité politique, sociale et militaire de la démocratie  ?;

 

Ou, sans souci des sentiments qu'éprouve le pays, devra-t-on commencer par le débarrasser de la démocratie et lui rendre, de force, les conditions de la santé, de la puissance et du bonheur  ?;

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Si la République réclame beaucoup de vertu de la part des républicains, cela tient justement à ce qu'elle est un gouvernement faible et grossier, que ses vertus intrinsèques sont médiocres, et que sa pauvreté naturelle a besoin d'être compensée par la bonté des individus, à condition pourtant qu'ils soient déjà eux-mêmes bons, et aussi que cette bonté puisse se déployer utilement, ce qui n'a pas lieu dans certaines Républiques où toute bonté d'ordre catholique est proscrite nominativement.

 

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La République est une grosse mangeuse d'hommes. Elle les croque à moitié ou au quart, puis les rejette : ils vont refaire, dans le silence ou l'opposition, les membres ou les organes ainsi grignotés : après quoi, le Léthé dûment bu par les assemblées ou le peuple, ils reparaissent plus ou moins rafraîchis pour faire de nouveaux dégâts.

 

Les responsabilités sont tellement fractionnées en régime républicain  !

 

L'homme politique flétri, plonge, disparaît, et quelques saisons lui suffisent pour nous le rendre orné d'une amnistie quelconque, ou simplement lavé par l'amnésie publique, dans l'apparat de l'innocence ou de l'insolence : il est couronné de nouveau  !

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La vie d'un grand pays comme la France suppose, à chaque instant, une infinité de décisions, de choix, d'initiatives rapides et continues, qui, en République, sont impossibles : c'est un type de gouvernement purement critique.

 

En temps normal, la routine administrative y est reine des bureaux. A d'autres moments, les réformes précipitées et incoordonnées prennent un caractère révolutionnaire et les mettent tous en question.

 

Dans ce gouvernement impersonnel, où l'on convie le peuple à se défier des individus, les questions de personnes, les succès de personnes tiennent une place démesurée.

 

Dans les cas les plus favorables, quand on a affaire à des natures nobles et à des sentiments supérieurs, le grand aiguillon politique reste trop la seule gloire, ou plutôt gloriole : le goût du succès obtenu par un homme aux applaudissements des hommes d'un temps.

 

La remarque a été faite pour Napoléon, pour Thiers, pour les plus fameux conducteurs des républiques de l'antiquité et du moyen âge.

 

Il y a des paysages, il y a des domaines que s'interdisent les regards du républicain.

 

Vouloir guérir la dépopulation par un simple système d'aumônes aux familles nombreuses est naturel à un esprit qui ne veut ni ne peut céder sur les lois successorales, ni sur les lois laïques qui sont mères et filles de la démocratie.

 

Parler de notre «  magnifique domaine colonial  », sans parler de la reconstitution urgente de la marine, faute de laquelle nos colonies deviendront un fardeau et un péril, c'est aussi très républicain : la marine militaire est chose royale, dit l'histoire de la patrie. Un républicain expérimenté ne peut pas en douter, il aime mieux s'en taire en ébauchant un acte de résignation au destin.

 

Le fin mot de notre politique allemande ne tient-il pas aux mêmes scrupules constitutionnels qui défendent longs espoirs et vastes desseins  ?;

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Au fond, en secret, dans l'intimité et la liberté parfaite du for intérieur, la République est un objet de tacite scandale pour tout patriote.

 

S'il peut se croire républicain, cependant en fait, il aime mieux voir la force française s'unir et se multiplier contre les forces étrangères que se diviser et s'épuiser elle-même dans les conflits intérieurs.

 

Quand il ne s'avoue point les muets sentiments de sa révolte généreuse au spectacle du déchirement chronique et systématique de la cité, chaque fait de guerre intestine éveille en lui une horreur certaine : ce qu'il évite de réprouver en gros, il le fait, le blâme et le repousse en détail.

 

Son républicanisme est un système auquel il peut croire, mais qu'il ne peut pas voir pratiquer sans chagrin. Il assigne aux malheureuses conséquences de la République les causes les plus diverses : tantôt les hommes méchants (dont le Droit républicain lui enseigne à révéler l'égale valeur) tantôt des partis enragés (dont le même Droit valide les conflits et prescrit le gouvernement).

 

Si bien qu'il est républicain sans consentir aux effets naturels de la République ni à ses conditions.

 

Mais il est patriote de la même manière : il veut relever sa patrie sans vouloir le moyen de son relèvement, il veut garder la République sans en admettre ni les fruits ni la fleur.

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Ne pouvant parvenir à rendre les résultats de la République conformes aux lois de la raison, ni aux conseils de la prévoyance, on essaie d'altérer le texte de ces lois inécrites afin de nous fermer les yeux sur des résultats désolants.

 

Les phénomènes de triste insouciance et de honteuse impéritie, dont il est impossible de contester l'éclat, on s'efforce de leur conférer la reconnaissance de droit : ils sont normaux, puisque la norme est le régime  !

 

L'esprit du régime rejoint et égale ainsi la stupidité de son être matériel; dès que les choses lui font une menace trop claire, il prie les choses de lui apparaître couleur de nuit, c'est l'affaire d'un coup de lancette sur la rétine.

 

Un aveuglément théorique et volontaire confirme alors l'aveuglement pratique : les citoyens distraits ont raison de l'être, leur distraction et leur légèreté sont morales et politiques. Très sages de ne pas s'instruire. Plus sages encore de s'y refuser.

 

Comprenons la nécessité naturelle de cette philosophie, il n'en est pas d'autre permise en gouvernement d'opinion; comprenons aussi quelle décadence elle dénote et multiplie, surtout quels dangers elle annonce. Au bas mot, en termes concrets, elle doit nous représenter cinq cent mille jeunes Français couchés, froids et sanglotants sur leur terre mal défendue.

 

( Ces lignes de Charles Maurras sont de 1913 )

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La position du gouvernement de la République française apparaît du dehors tout à fait fausse.

 

Il doit s'intéresser aux réalités nationales en s'inspirant des principes et des idées de sectes qui sont antinationales. Quand bien même il est mû occasionnellement par le souci de ses responsabilités politiques ou par l'amour du bien public, il se trouve arrêté et perclus par l'Évangile humanitaire et le Pontificat juridique auquel l'attachent les traditions du régime.

 

Le combat qui se livre en lui le plie aux méthodes de demi-mesures, de petits paquets, de transactions consenties, désirées. Il s'interdit d'oser, même de se mouvoir. La franchise lui est aussi pénible que l'audace. Comme il n'exploite pas ses victoires de guerre, il ne poursuit pas ses rares succès de diplomatie.

 

Il lui est défendu d'aller au fond ni au bout de rien, sa fausse moralité fomentant une opposition ininterrompue à ses mouvements nationaux. Et, comme la vraie et simple moralité manque parfois au personnel qu'il exporte dans ses colonies, il est, là encore, assiégé de nouveaux scrupules stérilisants.

 

De là, un état d'équilibre inerte qui vaudrait pour une très grande puissance parvenue au comble de sa force et à qui la sagesse conseillerait avant tout de se mesurer; or, nous sommes une puissance qui, sous peine de mort, doit retrouver sa place, revenir de sa déchéance, reconstituer patrimoine et prestige détruits.

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Un État ne se passe point de raison d'État. Et c'est parce qu'il y a une raison d'État qu'il faut constituer l'État avec tant de soin  ! qu'il faut y concentrer le maximum de la sagesse, de la conscience, de la prudence et de la justice  ! Seul un État très personnel, très humain, très pénétré de ses responsabilités peut exercer utilement les hautes prérogatives extra-judiciaires ou, si l'on veut, hyperjudiciaires qui lui sont dévolues.

 

Tant vaudra cet État, tant vaudront ses applications de la raison d'État. Si, au contraire, votre État ne porte aucun nom d'homme et se galvaude dans les partis qui l'asservissent à la Finance ou à l'Étranger de l'intérieur, la raison d'État deviendra raison de parti; au lieu de servir et de protéger le salut national, elle servira «  cet intérêt supérieur de la République  », qui représente les intérêts changeants des personnes et des fonctions.

 

Les recours au «  fait du prince  » seront d'autant plus vils qu'il n'y aura pas de Prince et qu'ils ne pourront être ni avoués, ni invoqués directement par un prince de chair et d'os.

 

La prétention de tout traiter régulièrement, judiciairement et en forme, aura pour effet de fausser la justice et de faire recevoir pour l'expression pure de la loi ce qui en sera la caricature. On feint d'avoir supprimé toute intervention «  arbitraire  » publique pour éloigner quelques abus; mais on multiplie une intervention silencieuse et secrète de tous les instants.

 

Quand l'organe de l'autorité n'existe pas, sa fonction, qui est éternelle et nécessaire, est usurpée par le premier esclave venu. Nul pouvoir supérieur à la loi écrite n'existant et la Loi ne s'incarnant en aucune puissance souveraine capable de dire : «  La Loi c'est Moi  », tous les magistrats sont sollicités par nécessité politique, de frauder la loi et d'enlever peu à peu à la loi toute autorité.

 

Cette loi que l'on tourne et que l'on fraude aussi habituellement perdra d'autant plus dans le respect des hommes que ses applicateurs et interprètes y seront eux-même plus diminués et humiliés.

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Un gouvernement électif n'est pas un gouvernement qui dure et qui tient. C'est un gouvernement qui est soumis à une loi de création et de recréation incessante.

 

Il n'existe jamais par ses propres ressources, il doit compter avec un certain état d'esprit de l'opinion, favorable ou défavorable, dont son existence dépend.

 

Comprenons bien : son existence  !

 

Il ne s'agit pas de son orientation, de sa politique, de sa manière d'être sur une question ou une autre question, il s'agit de lui-même, de son «  tout  », dirait Pascal.

 

De là vient que cet État ne peut considérer de sang froid ni la religion des citoyens (elle peut conduire à mal voter), ni leur éducation (même risque), ni leur instruction (itou), ni même les plus modestes détails de l'administration urbaine ou rurale, car chacun de ces détails peut figurer un moyen de tenir l'électeur ou, inversement, quelque risque de le laisser échapper.

 

Il n'y a donc pas de gouvernement plus envahissant que le gouvernement électif, ni plus ambitieux d'étendre sans cesse sa sphère d'action. Il tend, par force, à allonger démesurément le rayon de l'activité de l'État. Il tend à absorber, comme les écoles, les hôpitaux; comme les communes et les provinces, les chemins de fer, les mines, et généralement toute la vie économique et sociale du pays. L'inquiétude électorale fait le stimulant et le nerf de cette politique d'empiètement.

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