L'hérédité

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La nature procède le plus communément par imitation et répétition : mais elle a aussi ses innovations, ses caprices, ses initiatives. Dans ce cas elle agit avec une extrême vigueur.

Lorsqu'il lui plaît de faire naître un homme de guerre chez de paisibles magistrats, ou un marin sur une souche de vignerons, la vocation nouvelle est marquée assez fortement, elle est servie par une volonté assez ferme pour que toutes les résistances soient brisées. Mais ces résistances, ces difficultés, ont du bon. Ces épreuves sont des examens naturels, laissant passer les forts prédestinés, mais rejetant les autres dans la condition héréditaire qui leur est la plus convenable, car elle leur assure la défense et l'abri.

 

Comme moyen d'action vers un avenir, l'hérédité est le plus droit et le plus simple de tous.

Son utilité générale résulte du destin du producteur doué de raison, qui se reproduit avant de mourir.

La vie humaine serait indignement courte si la nature n'avait fourni aux sociétés une procédure qui transmette les fruits des travaux par le sang.

La flamme impersonnelle dont l'homme a le dépôt ne fait que le traverser pour courir à d'autres, mais délègue aux enfants qu'il procrée un pouvoir sur les biens qu'il a procréés comme eux et très souvent pour eux. La postérité inerte qui sort de ses mains sera vivifiée par sa postérité vivante.

Quand ses grands fils commencent à féconder son héritage, tout travailleur un peu amoureux de son oeuvre sent avec vérité qu'il va vaincre deux fois la mort. Le pouvoir de léguer son reste donne à l'activité d'une vie bien remplie le plus haut laurier naturel.

Notons que les sociétés chrétiennes du Moyen Âge, pénétrées du sentiment surnaturel de la vie future, se sont toujours montrées extrêmement sensibles à la récompense terrestre du père dans le fils. Elles ont chanté, de toute leur âme, l'Abraham et semini ejus in secula.

Nos diverses races royales ou impériales sortent de nations ardemment convaincues de la réalité du royaume des cieux : comment des peuples moins croyants donneraient ils moins d'attention au voeu charnel de la durée héréditaire ? Elle est leur unique défense contre le temps : ils n'ont que cette ancre à jeter sur l'abîme de l'avenir. A la rigueur, les ambitions héréditaires auraient pu s'affaiblir par un brusque essor des espérances célestes ; l'inverse se comprendrait il ?

On peut raisonner ainsi :

  Si quelque Dieu caché dans le secret des coeurs ou planant sur l'abîme interplanétaire assiste, immobile et muet, ardent et tout puissant, au développement des efforts de l'humanité, c'est sa loi même qu'il vérifie dans les choses et les hommes; il ne peut qu'en bénir l'effet multiplié.

Mais si les espaces sont vides et si le coeur humain n'est lui même assisté d'aucune « consolation internelle », tous les bonheurs de l'être et tous les bienfaits de la vie en paraissent plus exposés à l'érosion du temps et aux coups de la mort, leur tradition, leur transmission semble donc plus précieuse dans l'immensité solitaire au perpétuel dénuement Tout moyen de sauver ou de prolonger le tremblant effort personnel en devient plus sacré peut être ! La pensée menacée s'en attache plus fermement à la philosophie de l'ordre et à la connaissance des lois de sa préservation. Que cet ordre succombe, le croyant garde le refuge de la Cité divine : celui qui ne croit plus subit la catastrophe de tout ce que son rêve disputait à la mort.

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