Chapitre XLIV

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Chapitre XLIV La faction poursuit la religion

Les royalistes défendraient leur roi, il faut les écarter ; l'autel soutiendrait le trône, il faut l'empêcher de se rétablir. Le système des intérêts révolutionnaires est surtout incompatible avec la religion ; les plus grands efforts du parti se dirigent contre elle, parce qu'elle est la pierre angulaire de la légitimité.

On a tâché d'abord d'exciter une guerre civile dans le midi, avec le dessein d'en rejeter l'odieux sur les catholiques. On a rendu vains les projets des chambres : aucune des propositions religieuses adoptées par elles n'est sortie du portefeuille des ministres : double avantage pour les intérêts révolutionnaires, le prêtre marié continue à toucher sa pension et le curé meurt de faim.

Ainsi, l'on n'a encore presque rien fait depuis le retour du fils aîné de l'Eglise, pour guérir les plaies ou mettre fin au scandale de l'Eglise ; et pourtant que ne doit point ce royaume à la religion catholique ! Le premier apôtre des Français dit au premier roi des Français montant sur le trône : " Sicambre, adore ce que tu as méprisé ; brûle ce que tu as adoré. " Le dernier apôtre des Français dit au dernier roi des Français descendant du trône : " Fils de saint Louis, montez au ciel. " C'est entre ces deux mots qu'il faut placer l'histoire des rois très chrétiens, et chercher le génie de la monarchie de saint Louis.

On n'a point adopté les propositions favorables au clergé, mais on a regretté vivement la loi du 23 septembre. On sait très bien que cette loi est une mauvaise loi de finances, mais c'est une bonne mesure révolutionnaire. On sait très bien que 10 millions de rentes restitués aux églises ne feraient pas la fortune du clergé, mais ce serait un acte de justice et de religion, et il ne faut ni justice ni religion, parce qu'elles contrarient le système des intérêts révolutionnaires.

Toutes choses allant comme elles vont, dans vingt-cinq ans d'ici il n'y aura de prêtres en France que pour attester qu'il y avait jadis des autels. Le parti connaît le calcul ; et pour empêcher la race sacerdotale de renaître, il s'oppose à ce qu'on lui fournisse les moyens d'une existence honorables. Il n'ignore pas que des pensions insuffisantes, précaires, soumises à toutes les détresses du fisc et à tous les événements politiques, ne présentent pas assez d'avantages aux familles pour qu'elles consacrent leurs enfants à l'état ecclésiastique. Les mères ne vouent pas facilement leurs fils au mépris et à la pauvreté : la partie est donc sûre, si elle est jouée avec persévérance. Je ne sais si la patience appartient à l'enfer comme au ciel, à cause de son éternité ; mais je sais que dans ce monde elle est donnée au méchant. La destruction physique et matérielle du culte est certaine en France, pourvu que les ennemis secrets de la légitimité, tantôt sous un prétexte, tantôt sous un autre, parviennent à tenir le clergé dans l'état d'abjection où il est maintenant plongé.

Au milieu de ses enfants massacrés, sur le champ de bataille où elle est tombée, en défendant le trône de saint Louis, la religion blessée étend encore ses mains défaillantes pour parer les coups qu'on porte au roi ; mais ceux qui l'ont renversée sont attentifs, et toutes les fois qu'elle fait un effort pour se relever, ils frappent un coup pour l'abattre. Un prélat vénérable avait obtenu la direction des affaires religieuses ; la distribution du pain des martyrs n'était plus confiée à ceux qui l'ont pétri avec l'ivraie, et qui ne vendent pas même à bon poids ce pain amer. On a forcé un ministre honorable de remettre les choses telles et pires qu'elles étaient sous Buonaparte : le prêtre est rentré sous l'autorité du laïque, et la religion est venue se replacer sous la surveillance du siècle.

Lorsqu'un vicaire veut toucher le mois échu de sa pension, il faut qu'il présente un certificat de vie au maire du lieu ; celui-ci en écrit au sous-préfet, qui s'adresse à son tour au préfet, dont la prudence en peut référer au chef de division de l'intérieur chargé de la direction des cultes : le chef peut en parler au ministre. Enfin, cette grande affaire mûrement examinée, on compte 12 liv. 10 s. sur quittance à l'homme qui console les affligés, partage son denier avec les pauvres, soulage les infirmes, exhorte les mourants, donne la sépulture aux morts, prie pour ses ennemis, pour la France et pour le roi.

Quelques biens ecclésiastiques étaient aliénés sans contrat légal ; on les a découverts : on a craint que leurs détenteurs ne trouvassent le moyen de les rendre aux églises ; vite, on s'est bâté de rappeler les biens aux domaines.

Ce n'est pas assez d'empêcher le prêtre de vivre, il faut encore lui ôter, s'il est possible, toute considération aux yeux des peuples. Ce qu'on n'avait pas vu sous le règne des athées, on a trouvé piquant de le montrer sous le règne du roi très chrétien : un prêtre a été cité, comme un criminel, à comparaître au tribunal de la police correctionnelle ; il y est venu, en soutane et en rabat, s'asseoir sur les bancs des prostituées et des filous. Le peuple a été étonné, et la cause a cessé d'être publique.

Cette haine de la religion est le caractère distinctif de ceux qui ont fait notre perte, qui méditent encore notre ruine. Ils détestent cette religion parce qu'ils l'ont persécutée, parce que sa sagesse éternelle et sa morale divine sont en opposition avec leur vaine sagesse et la corruption de leur coeur. Jamais ils ne se réconcilieront avec elle. Si quelques-uns d'entre eux montraient seulement quelque pitié pour un prêtre, tout le parti se croirait dégénéré de ses vertus et menacé d'un grand malheur. Rome au temps de ses moeurs fut consternée de voir une femme plaider devant les tribunaux : ce manque de pudeur parut à la république annoncer quelque calamité, et le sénat envoya consulter l'oracle.

Mais comment comprendre que ceux qui peuvent quelque chose sur nos destinées, qui prétendent vouloir la monarchie légitime, rejettent la religion ? L'impiété ne nous a-t-elle pas fait assez de mal ? Le sang et les larmes n'ont-ils pas assez coulé ? N'y a-t-il pas eu assez de proscriptions, de spoliations, de crimes ? Non : on remet encore en question les injustices révolutionnaires ; on entend encore débiter les mêmes sophismes qu'en 1789. Les prêtres, après le massacre des Carmes, les déportations à la Guiane, les mitraillades de Lyon, les noyades de Nantes, après le meurtre du roi, de la reine, de Mme Elisabeth, du jeune roi Louis XVII, les prêtres, dépouillés de tout, sans pain, sans asile, sont encore pour des hommes d'Etat des Calotins. Eh bien ! si nous en sommes là, je ne crains pas d'annoncer que le souhait du philosophe Diderot s'accomplira.

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