Chapitre XXIX
Chapitre XXIX Qu'on ne fait pas des royalistes par le système des intérêts révolutionnaires
Passons sur un autre champ de bataille.
J'ai dit qu'il fallait faire des royalistes, s'il n'y en avait pas en France. C'est précisément pour cela, répond-on, que l'on gouverne dans le sens des intérêts révolutionnaires. Le chef-d'oeuvre du ministère sera de rattacher au roi tous ses ennemis. On gagnera tous les hommes qui n'ont à se reprocher qu'un excès d'énergie, et qui mettront à défendre le trône la force qu'ils ont mise à le renverser.
Et moi aussi j'ai prêché cette doctrine. et moi aussi j'ai dit qu'il fallait fermer les plaies, oublier le passé, pardonner l'erreur. Quel éloge n'ai-je point fait de l'armée ! Je dois même le confesser : je suis trop sensible à la gloire militaire, et je raisonne mal quand j'entends battre un tambour. Mais ce que je concevais avant le 20 mars, je ne le conçois plus après. Etre un bon homme, soit ! mais un niais, non ! Je serais aussi trop honteux d'être deux fois dupe. Vous prétendez rendre royalistes les hommes qui vous ont déjà perdus ! Et que ferez-vous pour eux qu'on n'eût point fait alors ? Ils occupaient toutes les places, ils dévoraient tout l'argent, ils étaient chargés de tous les honneurs. On donnait à quelques régicides mille écus par mois pour avoir fait tomber la tête de Louis XVI. Serez-vous plus libéral ? Les Cent Jours ont envenimé la plaie ; il ont ajouté aux passions premières la honte d'avoir tenté sans succès une nouvelle trahison. Par cette raison, la légitimité est devenue de plus en plus odieuse à de certains hommes : ils ne seront satisfaits que par son entière destruction. Je le répéterai : essayer encore après le 20 mars de gagner les révolutionnaires, remettre encore toutes les places entre les mains des ennemis du roi, continuer encore le système de fusion et d'amalgame, croire encore qu'on enchaîne la vanité par les bienfaits, les passions par les intérêts ; en un mot, retomber dans toutes les fautes qu'on a faites après une leçon si récente, une expérience si rude, disons-le sans détour, il faut que quelque arrêt fatal ait été prononcé contre cet infortuné pays.