Chapitre XXV
Chapitre XXV Réfutation
Je vois d'abord dans cet exposé une chose qui, si elle était réelle, confirmerait ce que j'ai avancé plus haut : il est facile de faire des royalistes en France, en supposant qu'il n'y en ait pas.
En effet, des collèges électoraux sont assemblés : dans la simple supposition que les royalistes vont être puissants, que le gouvernement va prendre des mesures en leur faveur, ces collèges nomment sur-le-champ, contre leurs intérêts, leurs penchants et leurs opinions, des députés royalistes ! On est donc bien coupable, je le répète, de ne pas rendre toute la France royaliste, lorsqu'on le peut à si peu de frais, lorsque la moindre influence la détermine à faire aussi promptement ce qu'elle ne veut pas que ce qu'elle veut.
Pour moi, je m'en tiens au positif, et, comme ceux dont je combats le système, je ne veux que des faits.
J'ai eu l'honneur de présider un collège électoral dans une ville dont la garnison étrangère n'était séparée de l'armée de la Loire que par un pont. S'il devait y avoir oppression, confusion, incertitude quelque part, c'était certainement là. Je n'ai vu que le calme le plus parfait, que la gaieté même, que l'espérance, l'absence de toutes craintes, que les opinions les plus libres. Le collège était nombreux ; il n'y manquait presque personne. On y remarquait des hommes de tous les caractères, de toutes les opinions ; des malades s'y étaient fait porter : le résultat de tout cela fut la nomination de quatre royalistes pris dans l'administration, la magistrature et le commerce. Il y en aurait eu vingt de nommés si l'on avait eu vingt choix à faire, car il n'y eut concurrence qu'entre des royalistes. On n'aurait trouvé de difficulté ou plutôt d'impossibilité qu'à faire élire les partisans des intérêts révolutionnaires.
Je suis peut-être suspect ici par mes opinions. Il y a d'autres présidents qui ne l'étaient pas, et ils ont rapporté comme moi des nominations royalistes. Si donc il y avait tant de calme et d'indépendance à Orléans, les départements éloignés de Paris et du théâtre de la guerre devaient être encore plus libres de suivre leurs véritables opinions.
Une preuve de plus que l'opinion de la majorité de la chambre des députés était l'opinion de la majorité de la France, c'est la réception que les départements ont faite à leurs députés. Je ne parle pas des témoignages de satisfaction donnés aux hommes les plus éclatants ; on pourrait répondre que l'esprit de parti s'en est mêlé. Je parle de la manière dont les députés les plus obscurs ont été accueillis presque partout, par cela seul qu'ils avaient voté avec la majorité. On a dit que la police avait envoyé des ordres secrets pour que de semblables honneurs attendissent aussi les membres de la minorité : ce sont des propos de la malveillance.
Si les départements avaient élu des députés qu'ils n'aimaient pas, il faut avouer qu'ils avaient eu le temps de revenir de leur surprise, de s'apercevoir que les royalistes n'avaient ni puissance ni faveur : alors ces départements, mécontents eux-mêmes de tout ce qui s'était passé dans la session, auraient pu montrer combien ils se repentaient de leurs choix. Point du tout : ils en paraissaient de plus en plus satisfaits. Voilà une abnégation de soi-même, une frayeur, une surprise, qui durent bien longtemps !
Que n'avait-on point tenté toutefois pour égarer l'opinion ! Que de calomnies répandues, que d'insultes dans les journaux ! Tantôt les députés voulaient ramener l'ancien ordre de choses et revenir sur tout ce qui avait été fait ; tantôt ils attaquaient la prérogative et prétendaient résister au roi. Comment dans les provinces aurait-on démêlé la vérité, quand la presse n'était pas libre, quand elle était entre les mains des ministres, quand on ne pouvait rien expliquer au delà de la barrière de Paris, ni faire comprendre la singulière position où l'on plaçait les plus fidèles serviteurs du roi ? Pour couronner l'oeuvre, les chambres avaient été renvoyées immédiatement après le rapport sur le budget à la chambre des pairs ; et les députés, sans pouvoir répondre, étaient retournés chez eux, chacun avec un acte d'accusation dans la poche : cependant la vérité a été connue.
Trompé comme on l'est dans les cercles de Paris, où chacun ne voit et n'entend que sa coterie, où l'on prend ce qu'on désire pour la vérité, où l'on est la dupe des bruits et des opinions que l'on a soi-même répandus, où la flatterie attaque le dernier commis comme le premier ministre, on disait avec une généreuse pitié que le ministère serait obligé de protéger les députés quand ils retourneraient dans les provinces ; que ces malheureux seraient insultés, bafoués, maltraités par le peuple : Ride, si sapis !
Il me semble que les départements commencent à se soustraire à cette influence de Paris, qui les a dominés depuis la révolution et qui date de loin en France. Lorsque le duc de Guise le Balafré montrait à sa mère la liste des villes qui entraient dans la ligue : " Ce n'est rien que tout cela, mon fils, disait la duchesse de Nemours : si vous n'avez Paris, vous n'avez rien. "
Que l'administration, par maladresse, accroisse aujourd'hui le dissentiment entre les provinces et Paris, il en résultera une grande révolution pour la France.