VII. — Premières atteintes

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De ces deux pouvoirs en conflit, Intelligence et Force, lequel a paru l'emporter au cours de ce même siècle ?

On n'y rencontre pas une influence comparable aux dictatures plénières du siècle précédent. On avait dit le roi Voltaire, mais personne ne dit le roi Chateaubriand, qui ne rêva que de ce sceptre, ni le roi Lamartine, ni le roi Balzac, qui aspiraient de même à la tyrannie. On n'a pas dit le roi Hugo. Celui-ci a dû se contenter du titre de « père », et de qui ? des poètes, des seuls gens de son métier.

En outre, les souverains qui ont gouverné la France après Napoléon se sont presque tous conformés à ses jugements, peu bienveillants, en somme, sur ses confrères en idéologie. La Restauration s'honora de la renaissance des Lettres pures ; elle les protégea, les favorisa d'un esprit si curieux et si averti que c'était, par exemple, le jeune Michelet qui allait donner des leçons d'histoire aux Tuileries. Mais le gouvernement n'en était plus à prendre au sérieux les pétarades d'un sous-Voltaire. On le fit voir à M. de Chateaubriand. Villèle lui fut préféré, Villèle qui n'était ni manieur de mots, ni semeur d'images brillantes, mais le plus appliqué des politiques, le plus avisé des administrateurs, peut-être le meilleur citoyen de son siècle.

Quoique fort respectueux envers l'opinion, Louis-Philippe montra une profonde indifférence envers ceux qui la font. Il ne les craignit pas assez ; en s'appuyant sur les intérêts, il négligea imprudemment l'appui de ceux qui savent orner et poétiser le réel. Son fils aîné avait pratiqué ce grand art, et la mort du duc d'Orléans, le 13 juillet 1842, fut un des malheurs qui permirent la révolution de février.

Le Second Empire, qui adopta peu à peu une politique toute contraire à l'égard des lettrés, en parut châtié par le cours naturel des choses. Les hommes de main, Persigny, Maupas, Saint-Arnaud, Morny, marquent précisément l'heure de sa prospérité ; quand l'Empereur se met à collaborer avec les diplomates de journaux, qu'il s'enflamme avec eux pour l'unité italienne ou s'unit à leurs vœux en faveur de la Prusse, la décadence du régime se prononce, la chute menace. Mais il faut prendre garde qu'un Émile Ollivier, plus tard un Gambetta, se donnaient déjà pour des praticiens ; on les eût offensés en les mettant dans la même compagnie que Rousseau.

Sous ces divers régimes, en effet, les lettrés purent bien accéder au gouvernement. Ce n'était plus la littérature en personne qui devait régner sous leur nom. Leur ambition commune était de se montrer, avant tout, gens d'affaires et hommes d'action.

Un trait les marque assez souvent, plus que Bonaparte. C'est le profond dédain qu'ils affichent, dès la première minute du pouvoir, pour leur condition de naguère ; c'est l'autorité rogue, même un esprit d'hostilité dont ils sont animés envers leurs compagnons d'hier. Ils les casent assurément, car le cercle de leurs relations n'est étendu que de ce côté. Ils s'entourent du personnel de leur origine ; mais, cette origine, ils la renient volontiers, ils n'éprouvent aucune piété particulière pour le fait de tenir une plume, de mettre du noir sur du blanc. Ils se croient renseignés sur ce que vaut la Pensée et toute Pensée, car ils se rappellent la leur. De quel air, de quel ton, ce Guizot devenu président du Conseil reçoit le pauvre Auguste Comte ! Un ancien secrétaire de rédaction, passé ministre des Affaires Étrangères, dit à qui veut l'entendre qu'il fait peu de cas des journaux ! Un journaliste, un écrivain qui a été élu député étudie ses intonations pour écraser d'anciens confrères :

— Vous autres théoriciens !…

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