Préface de la première édition

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Si, n'étant que simple citoyen, je me suis cru obligé dans quelques circonstances graves d'élever la voix et de parler à ma patrie, que dois-je donc faire aujourd'hui ? Pair et ministre d'Etat, n'ai-je pas des devoirs bien plus rigoureux à remplir, et mes efforts pour mon roi ne doivent-ils pas être en raison des honneurs dont il m'a comblé ?

Comme pair de France, je dois dire la vérité à la France, et je la dirai.

Comme ministre d'Etat, je dois dire la vérité au roi, et je la dirai.

Si le conseil dont j'ai l'honneur d'être membre était quelquefois assemblé, on pourrait me dire : " Parlez dans le conseil. " Mais ce conseil ne s'assemble pas : il faut donc que je trouve le moyen de faire entendre mes humbles remontrances et de remplir mes fonctions de ministre.

Si j'avais besoin de prouver par des exemples que les hommes en place ont le droit d'écrire sur les matières d'Etat, ces exemples ne me manqueraient pas : j'en trouverais plusieurs en France, et l'Angleterre m'en fournirait une longue suite. Depuis Bolingbroke jusqu'à Burke, je pourrais citer un grand nombre de lords, de membres de la chambre des communes, de membres du conseil privé, qui ont écrit sur la politique, en opposition directe avec le système ministériel adopté dans leur pays.

Eh quoi ! si la France me semble menacée de nouveaux malheurs ; si la légitimité me paraît en péril, il faudra que je me taise, parce que je suis pair et ministre d'Etat ? Mon devoir, au contraire, est de signaler l'écueil, de tirer le canon de détresse et d'appeler tout le monde au secours. C'est par cette raison que, pour la première fois de ma vie, je signe mes titres, afin d'annoncer mes devoirs et d'ajouter, si je puis, à cet ouvrage, le poids de mon rang politique.

Ces devoirs sont d'autant plus impérieux, que la liberté individuelle et la liberté de la presse sont suspendues. Qui oserait parler ? Puisque la qualité de pair de France me donne, en vertu de la Charte, une sorte d'inviolabilité, je dois en profiter pour rendre à l'opinion publique une partie de sa puissance. Cette opinion me dit : " Vous avez fait des lois qui m'entravent : prenez donc la parole pour moi, puisque vous me l'avez ôtée. "

Enfin, le public m'a prêté quelquefois une oreille bienveillante : j'ai quelque chance d'être écouté. Si donc en écrivant je peux faire un peu de bien, ma conscience m'ordonne encore d'écrire.

Cette préface se bornerait ici, si je n'avais quelques explications à donner.

Le mot de royaliste dans cet ouvrage est pris dans un sens très étendu : il embrasse tous les royalistes, quelle que soit la nuance de leurs opinions, pourvu que ces opinions ne soient pas dictées par les intérêts moraux révolutionnaires [On verra dans le cours de cet ouvrage ce que j'entends par les intérêts moraux révolutionnaires. (N.d.A.)] .

Par gouvernement représentatif j'entends la monarchie telle qu'elle existe aujourd'hui en France, en Angleterre et dans les Pays-Bas, soit qu'on veuille ou qu'on ne veuille pas convenir de la justesse rigoureuse de l'expression.

Quand je parle des fautes, des systèmes, des ordonnances, des projets de loi d'un ministère, je ne fais la part ni du bien ni du mal à chacun des ministres qui composaient ou qui composent ce ministère. Ainsi je n'ai point ménagé des ministères dans lesquels même j'avais des amis. Je fais, par exemple, profession d'un respect particulier pour M. le chancelier de France : j'ai souvent eu l'occasion de reconnaître en lui cette candeur, cette droiture d'esprit et de coeur, cette rare probité de notre ancienne magistrature. Mes sentiments pour M. le comte de Blacas sont bien connus : je les ai consignés dans mes écrits, dans mes discours à la chambre des pairs. Le roi n'a pas de serviteur plus noble et plus dévoué que M. de Blacas. Il prouve en ce moment même son habileté par la manière dont il conduit les négociations difficiles dont il est chargé. Plût à Dieu qu'il eût exercé une plus grande influence sur le ministère dont il faisait partie ! Mais enfin ce ministère est tombé dans des fautes énormes, et je l'ai jugé rigoureusement, sans parler ni de M. le chancelier ni de M. de Blacas, qui, loin de partager les systèmes de l'administration, n'avaient pas cessé un moment de les combattre. Toutefois, dans un écrit où je traite des principes de la Monarchie représentative , j'ai dû admettre le principe qu'une mesure ministérielle est l'ouvrage du ministère.

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