Avertissement à l'édition de 1927

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Quand un jeune homme vient me demander s'il doit faire de la science, je lui réponds :

— Si vous avez une fortune qui assure votre indépendance, oui. Mais si vous devez demander à votre travail de vous servir de gagne-pain, ne vous lancez pas dans une carrière où vous ne pourrez avancer en gardant la tête haute… Notre démocratie a rendu le vae miseris plus dur qu'il ne l'a jamais été…

Le 15 juin 1919, lorsque M. Henri Le Chatelier, de l'Académie des sciences, écrivait au journal Le Temps ces graves et tristes paroles, l'étude que voici sur L'Avenir de l'Intelligence circulait depuis quatorze ans dans le public français. D'anciennes prévisions, qui avaient été formées presque uniquement pour le monde des Lettres et des Arts, étaient ainsi vérifiées pour le monde savant.

Autrefois, ce monde-là avait passé pour favorisé. On m'avait dit, en forme d'objection :

— Et le savant ? Et l'ingénieur ? Et l'inventeur ? N'est-ce pas aussi un intellectuel ? Cependant, quel succès !

Mais le succès n'a pas duré. La logique de la démocratie a suivi son cours.

Huit années ont couru depuis le pronostic de M. Henri Le Chatelier. Elles ont aggravé la commune misère de quiconque pense, écrit, rime, chante ou peint. Tous les autres salaires ont été relevés dans des proportions variables, en général assez fortes ; les travailleurs intellectuels ont été les plus mal partagés. Des savants éminents, des doyens de faculté, des recteurs d'Université annoncent tristement qu'ils vendent leur bibliothèque afin d'assurer leur existence et celle des leurs. Quant aux élèves, pour acheter des livres ou pour manger, beaucoup sont réduits à rechercher un travail manuel rémunérateur.

Jusqu'où ira-t-on en ce sens ? Nul signe favorable n'a été aperçu encore.

Le destin de l'Intelligence s'assombrit chaque jour.

Il y a vingt-cinq ans, on gardait un espoir dans la Révolution. Mais elle est venue. L'expérience révolutionnaire est faite. Son espoir a été trompé ; c'est aux intellectuels que s'est attaquée le plus violemment la révolution russe, elle en a tué par le fer ou le feu trois cent cinquante cinq mille deux cents cinquante, et cette belle statistique ne parle pas de ceux, instituteurs ou professeurs, avocats ou poètes, dont elle a eu raison par la famine ou par le froid.

Le règne de l'or, maître du fer, devenu l'arbitre de toute pensée séculière, se prolongera donc si l'on n'essaye pas une voie nouvelle qui permette de lui échapper. Quelle voie ? C'est ce que peut toujours montrer un petit livre né en 1905.

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