Les « grands principes »

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La fausse liberté.

Le libéralisme est la doctrine politique qui fait de la Liberté le principe fondamental par rapport auquel tout doit s'organiser en fait, par rapport auquel tout doit se juger en droit.

 

Dans l'ordre politique, le libéralisme, exprimé à la première phrase du Contrat social et au premier article de la Déclaration des Droits de l'Homme, porte que l'Homme naît libre. Le libéralisme veut dégager l'individu humain de ses antécédences, ou naturelles, ou historiques. Il l'affranchira des liens de famille, des liens corporatifs et de tous les autres liens sociaux ou traditionnels.

 

Je dis que le libéralisme supprime donc en fait toutes les libertés.

 

Libéralisme égale despotisme.

 

En effet : comme il faut vivre en société, et que la société exige un gouvernement, le libéralisme établira le gouvernement de la société en accordant un suffrage à chaque liberté et en faisant le total de ces souverains suffrages. La majorité, exprimant ce que Rousseau appelle la volonté générale, exprimera ainsi en quelque sorte une liberté générale : la volonté de la majorité devient dès lors un décret-loi contre lequel personne ni rien ne sauraient avoir de recours, si utile et si raisonnable, ou si précieuse et si sacrée que puisse être cette chose ou cette personne.

 

Liberté générale  ! Mais plus de libertés particulières  !

 

La liberté-principe établit une règle qui, très logiquement, ignore les forces et les libertés particulières; elle se vante de créer toute seule la liberté de chacun; mais, en pratique, l'histoire le montre bien, cet individualisme annule les individus. C'est son premier effet. Le second est de tyranniser, sans sortir du «  droit  » tous les individus n'appartenant pas au parti de la majorité, et ainsi de détruire les derniers refuges des libertés réelles. Tels sont les deux effets successifs de la Liberté politique (ou volonté du peuple) sous son aspect le plus connu, qui est celui de la «  démocratie libérale  »ou démocratie fondée sur la Liberté, Liberté fondant son gouvernement.

L'égalité imaginaire.

Dans un État puissant, vaste, riche et complexe comme le nôtre, chacun assurément doit avoir le plus de droits possible, mais il ne dépend de personne de faire que ces droits soient égaux quand ils correspondent à des situations naturellement inégales.

 

Quand donc, en un tel cas, la loi vient proclamer cette égalité, la loi ment, et, les faits quotidiens mettant ce mensonge en lumière, ôtant aux citoyens le respect qu'ils devraient aux lois de leur pays, ceux-ci en reçoivent un conseil permanent de dénigrement et de fronde, d'anarchie et d'insurrection.

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L'égalité ne peut régner nulle part; mais son obsession, son désir, établissent un esprit politique directement contraire aux besoins vitaux d'un pays : l'égalitarisme démocrate tue la discipline militaire et le peuple a besoin d'une armée; l'égalitarisme démocrate, par l'envie qu'il distille, tue la concorde civile, la cordialité, la paix entre particuliers, et le peuple a besoin de concorde, de paix, de cordialité.

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Parmi les théoriciens de la révolution russe, les uns disent qu'elle est la démocratie pure, les autres soutiennent qu'elle est l'antidémocratie.

 

La conciliation est simple : on peut vouloir supprimer l'égalité au moyen de telle ou telle construction révolutionnaire, mais sans l'égalitarisme on ne fait pas de révolution.

 

Une classe a réduit une autre classe en esclavage. C'est l'inégalité soviétique.

 

Mais le bouleversement se fait au nom de l'égalité, et la classe victorieuse prétend s'organiser elle-même sur le plan égalitaire et démocratique, auquel la nature des choses s'opposera.

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La journée du 14 juillet 1789 nous ayant apporté la Liberté, la nuit du 4 août suivant nous a valu l'Égalité : voilà ce que nous avons lu dans l'histoire officielle. On commence à savoir ce que fut cette bonne Bastille, hôpital pour les demi-fous et maison de retraite pour les demi-criminels, envahie et détruite par une bande de malfaiteurs et d'étrangers, la plupart allemands, avouait Marat : il importe de revenir sur la légende des privilèges renoncés au 4 août.

 

En nous la racontant, les historiens révolutionnaires oublient de faire savoir que l'âge d'or du Tiers-État de France se place au XVIIIe siècle.

 

Quelque avantage réel qu'ait perdu la Noblesse dans cette triste nuit, ce n'est pas elle, ce n'est pas le Clergé non plus qui en auront beaucoup souffert, c'est la députation des villes, c'est l'Ordre de la bourgeoisie et du peuple gras.

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L'égalité et l'uniformité sont si peu «  le progrès  » qu'elles fournissent la plus oppressive des règles.

 

Seul le privilège affranchit.

 

Il y a des situations particulières : si l'on veut les régler, il faut des lois particulières. Le mot privilège n'a aucun autre sens. Mais il reste loisible à des politiques irréfléchis de se gendarmer contre un mot, de se croiser les bras par la haine

 

d'un mot et de laisser ainsi les réalités de l'économie et du travail français tomber dans un gâchis et dans un chaos pour lequel le nom d'anarchie est trop doux.

La fraternité révolutionnaire.

Ce mauvais décalque du précepte évangélique de charité est sorti d'une confusion entre la loi effective de la nature et la loi idéale d'amour. Le dévouement, le sacrifice, la douceur sont des vertus qui s'acquièrent au prix de mille efforts. La bienveillance même est le lot de rares tempéraments favorisés par un atavisme prospère ou par un milieu social protecteur.

 

Ces choses n'existent guère à l'état sauvage.

 

Dire aux hommes : - « Rien n'est plus facile que d'être des frères; vos instincts sont bons, bonnes les choses; il n'y a d'obstacle à l'universelle embrassade que la perversité de quelques monstres oppresseurs, semeurs d'inimitié, dont il faut vous débarrasser  »... ; leur dire cela, c'est montrer du doigt chacun de leurs voisins comme un de ces monstres pervers, car il n'est point possible de ne trouver jamais autour de soi que des visages bienveillants et des sympathies rayonnantes : c'est inoculer le délire logique de la persécution, Taine l'a très bien démontré.

 

La loi des suspects est née de là, ainsi que toute la Terreur. Le personnage de Saint-Just, cet idyllique massacreur qui étonna Alfred de Vigny, s'explique ainsi par la nature mensongère de la philanthropie, qui ne conduit qu'à un travesti doucereux, mais odieux, de l'égoïsme et de la faiblesse d'esprit.

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Jamais le mot de Bacon «  pour vaincre la nature, il faut d'abord lui obéir  » ne fut donc mieux réalisé.

 

Puisque le sentiment de la fraternité s'engendre d'une bienveillance accidentelle ou d'un rare effort vertueux, on aurait dû le laisser s'épancher de l'âme des saints personnages et des grands hommes sur les foules qui en auraient été imbibées, réjouies, améliorées.

 

Tout au contraire, c'est aux foules qu'on l'a tout de suite enseigné et ce cri «  nous sommes des frères  », poussé d'en bas vers les hauteurs, a signifié très rapidement : « A bas tout ce qui est au-dessus de nous  ! A bas tous les meilleurs que nous...  »

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