Chapitre XXXIII

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Chapitre XXXIII Danger et fausseté de l'opinion qui n'accorde d'habileté qu'aux hommes de la révolution

C'est un bien faux et bien dangereux système, un système dont l'expérience nous a coûté bien cher, que celui qui ne voit de talent pour la France que dans les hommes de la révolution. Buonaparte, a dit mon noble ami M. de Bonald, a pu former des administrateurs, mais il n'a pu créer des hommes d'Etat ; belle observation, dont voici le commentaire.

Qu'est-ce qu'un ministre sous un despote ? C'est un homme qui reçoit un ordre, qui le fait exécuter, juste ou injuste, et qui, dispensé de toute idée, ne connaît que l'arbitraire, n'emploie que la force.

Transportez ce ministre dans une monarchie constitutionnelle, obligez-le de penser pour son propre compte, de prendre un parti, de trouver les moyens de faire marcher le gouvernement, en respectant toutes les lois, en ménageant toutes les opinions, en se glissant entre tous les intérêts, vous verrez se rapetisser cet homme, que vous regardiez peut-être comme un géant. Tous ses chiffres, tous ses résultats positifs, tous ses résumés de statistique lui manqueront à la fois. Il ne lui servira plus de rien de savoir combien un département renferme de bétail, combien tel autre fournit de légumes, de poules et d'oeufs ; Smith et Malthus lui deviendront inutiles. Aussitôt que les combinaisons morales et politiques entreront pour quelque chose dans la science du gouvernement, cette tête carrée se trompera sur tout, cet administrateur distingué ne sera plus qu'un sot.

J'ai vu les coryphées de la tyrannie déconcertés, étonnés, et comme égarés au milieu d'un gouvernement libre. Etrangers aux moyens naturels de ce gouvernement, la religion et la justice, ils voulaient toujours appliquer les forces physiques à l'ordre moral. Moins propres à cet ordre de choses que le dernier des royalistes, ils se sentaient arrêtés par des bornes invisibles ; ils se débattaient contre une puissance qui leur était inconnue. De là leurs mauvaises lois, leurs faux systèmes, leur opposition à tous les vrais principes. Ce qui fut esclave ne comprend pas l'indépendance ; ce qui est impie est mal à son aise au pied des autels. Ne croyons pas que tous les hommes de la révolution aient conservé leur fatal génie ! Sous un gouvernement moral et régulier, ce qu'ils possédaient de facultés pour le mal est devenu inutile. Ils sont pour ainsi dire morts au milieu du monde nouveau qui s'est formé autour d'eux ; et nous ne voyons plus errer parmi nous que leurs ombres ou leurs cadavres inanimés.

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