La noblesse et les élites

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«  La noblesse est une limite au pouvoir  », dit Bonald. Il en est ainsi de tout privilège et de tout droit particulier.

 

La Révolution n'a point aboli de caste, c'est-à-dire de classes fermées, la noblesse française ayant toujours été ouverte et la sélection des individus ayant donc toujours pu se produire.

 

Si les révolutionnaires à la Michelet ont fabriqué une légende de la royauté française, de faux nobles, depuis cent ans, ont inventé une conception de la vieille France qui est une autre légende. Le hobereau savoisien qui disait récemment à des commensaux roturiers : La royauté  ! mais, messieurs, si la royauté existait, vous déjeuneriez à l'office, ce hobereau-là savait l'histoire de France à peu près comme Saint-Simon, c'est-à-dire qu'il ne la savait point du tout. De pareils contes bleus, deux fois insolents, n'ont pas peu contribué à perdre la mémoire des bienfaits de la Monarchie. Ce n'est pourtant pas un Colbert et sa roture, c'est bien plutôt un Saint-Simon et sa fausse duché-pairie qu'un Louis XIV aurait renvoyé à l'office. La Monarchie a constitué le Tiers État. C'est ce qu'il ne faut pas oublier.

 

On demandait à René Quinton ce qu'il serait sans la Révolution. Il répliqua paisiblement : - Moi  ?; Fermier-général.

 

Et René Quinton était arrière-petit-fils de Danton.

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Nos noblesses sont autochtones. Elles ne viennent point de l'étranger. Leur évolution peut se faire en des conditions de turbulence ou de violence, ainsi qu'il arrive toujours; elle ne ressembla en rien aux phénomènes de dépossession et de domination que décrivent les visionnaires du romantisme historique.

 

«  Les documents contemporains  », écrit Fustel de Coulanges à ce sujet, «  ne nous présentent rien de tel  ».

 

Mais on nous enseignait le contraire à d'innombrables populations d'écoliers : il le fallait, pour que l'Histoire de France leur apparût comme une longue nuit de servitude étrangère jusqu'aux luisants matins de la Révolution.

 

Cette notion, renouvelée au XIXe siècle par les romantiques et, en dernier lieu, par le Rousseau gentillâtre et fol qui eut nom Gobineau, consiste à supposer, contre toutes les évidences de l'histoire, que les origines de la noblesse française ressemblent à celles de la noblesse anglaise; qu'il y eut au début de notre histoire une race de conquérants et une race de conquis; que les nobles descendent (ou devraient descendre) des Franks ou des autres envahisseurs barbares, les roturiers des Gallo-romains envahis.

 

Ces doctrines ont pour elles de flatter certaines passions, passions d'en haut, passions d'en bas. Elles ont contre elles la vérité, toute la critique sérieuse, celle de Fustel et celle de Kurth en ayant fait justice. Elles présentent aussi l'inconvénient de donner sans raison un prétexte de plus à l'antagonisme entre les diverses classes d'un même peuple qui sont faites pour se réunir et s'aider. Fustel de Coulanges disait avec sa gravité tranquille : «  Nées de la haine, elles ne servent qu'à la haine.  » Et personne ne doit oublier que, en 1905, notre commémoration de Fustel de Coulanges, chez qui cette critique est le point essentiel, a mis tous le monde républicain en fureur.

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Il est tout à fait impossible de concéder aux besoins de la thèse républicaine que le service militaire de la noblesse française fût épuisé en 1789, attendu qu'il a continué et continue, grâce au ciel, d'une façon assez brillante.

 

Un obscur nigaud, qui fut promu, un peu plus tard, brillant imbécile, soutenait certain jour une de ces formules expéditives que Taine a lancées, mais avec des nuances et des tempéraments que mon nigaud n'y mettait pas; c'était le parallèle obligé du service social rendu par la noblesse anglaise et du désoeuvrement et la courtisanerie de la noblesse française au XVIIIe siècle.

 

Je dus prier le garçon de se rappeler ce qui se passa en 1789 dans nos ports de guerre : c'est là que la Révolution commença, c'est là que les officiers nobles furent les premiers obligés à se démettre et de s'exiler, mais c'est là aussi que sombra immédiatement et sans retour notre puissance navale, très conformément au programme que ses instigateurs anglais avaient précisément donné à cette révolution... Cette noblesse prétendument fainéante, cette brave et vaillante et élégante noblesse française, d'ailleurs ouverte à toutes les valeurs et renouvelée à tous les étages d'une bourgeoisie florissante, par sa présence sur nos escadres, nous avait assuré un régime d'égalité par rapport à la plus florissante des marines connues. Disparue avec la monarchie, cette égalité ne s'est pas retrouvée.

 

La noblesse de la monarchie servait à quelque chose  !

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L'élite, ce n'est en aucune sorte la cohue des gens bien mis, ni celle des gens diplômés, ni celle des gens biens nourris. Huit reflets à un chapeau ne font pas un homme d'élite.

 

- Une couronne au fond du même chapeau non plus.

 

De qui, ce mot  ?; Du comte Eugène de Lur-Saluces.

 

L'être d'élite comporte choix et culture, vigueur et dignité.

 

Le mérite personnel peut y suffire. Mais la race, également.

 

Le propre de l'esprit révolutionnaire est d'exclure la race comme élément d'inégalité.

 

Est-ce que le talent, la beauté, la fortune, la puissance du travail seraient des éléments d'inégalité, par hasard  ?;

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Tous les progrès du monde ont été accomplis par une de ces très petites minorités.

 

Politiquement, socialement, la seule corruption qui soit redoutable, c'est celle des élites.

 

Cette notion de l'Élite est l'une des plus précieuses, mais des plus délicates qui soient, car rien n'est plus facile que de la déformer.

 

Une élite digne de ce nom ne se maintient pas au pouvoir en sacrifiant tout, même l'ordre, même l'avenir national, aux envies et aux convoitises du nombre. Une aristocratie véritable n'affermit pas son règne sur l'infâme liberté du pire.

 

Les créations du cabaretier et du proxénète peuvent composer des oligarchies : ne leur prostituons pas le nom de l'élite.

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Comme notre roi participe du prêtre et du chef de famille, l'élite française figure la simple préséance des premiers nés, que ceux-ci doivent légitimer par leurs devoirs, par leurs services. Son rôle est fraternel. Le corps de la nation ne comporte ni ilotes, ni parias.

 

Lamartine pouvait parler des citoyens d'Athènes comme d'un peuple d'hommes d'élite, mais les anciens sujets du Roi de France étaient tenus aussi pour un peuple essentiellement libre et noble, et je trouve dans l'oeuvre du grand poète qui resta longtemps parmi nous le témoin des vieilles traditions paysannes, dans Mistral, ce verset caractéristique : Sian Gau-Rouman e gentilome... Nous sommes Gallo-Romains et gentilshommes...

 

La plus retranchée de nos élites officielles, la Noblesse, a toujours été accessible. Jamais, comme à Venise par exemple, son Livre d'or n'a été fermé aux Français. Des origines de la Chevalerie à la fin de l'ancien régime, le renouvellement de l'élite par la nation ne s'est jamais ralenti.

 

Il n'a peut-être été que trop abondant au cours du XVIIIe siècle.

 

Que l'on se place au point de vue de l'histoire ou à celui du droit, notre élite, à tous les degrés de sa hiérarchie, apparaît d'abord nationale. Tout s'est passé comme si la loi et les moeurs considéraient dans le peuple une même race, dans les sujets du roi les fils d'un même sang. Rien n'est plus différent de la conception étrangère (et révolutionnaire) qui diviserait le pays en deux couches presque sans rapports, l'une omnipotente et possédant tout, l'autre sans droit et sans savoir; l'une avancée, affinée et «  évoluée  », l'autre inerte, immobile, réputée incapable de tout progrès.

 

Cette conception barbare mérite aussi d'être appelée impolitique parce que, reposant sur une grave erreur, elle est capable d'en inspirer beaucoup d'autres.

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